Noëlle Châtelet. Lettres à Mme R. Un amour de Jacques Doucet
L’histoire d’un compagnonnage
Inviter un ou une écrivain(e) à s’inspirer librement du Musée, de ses collections, de l’esprit des lieux. Nous en rêvions. Spontanément, c’est à Noëlle Châtelet que nous pensions. Par admiration pour son travail, par affinité avec sa personnalité, ses engagements. Au mois d’août 2021, l’invitation fut lancée à l’attention de celle qui est aussi, de par son ancrage à Malaucène, notre voisine. L’invitation, acceptée avec enthousiasme par la romancière et essayiste, coïncidait avec un moment-charnière dans son parcours d’écriture. Un temps de remise en question qu’elle explorait dans Laisse courir ta main, son dernier ouvrage, paru en février 2021. Dans cette circonstance très particulière, l’invitation au Musée, arrivée à point nommé, se voulait avant tout accueil attentif, temps propice à la liberté d’écrire.
Ce fut le début d’un compagnonnage. Découvrant l’histoire du Musée, les œuvres d’art et les objets hérités de Jacques Doucet, Noëlle Châtelet s’intéressa d’emblée à l’amour secret que le célèbre couturier-collectionneur voua, entre 1906 et 1911, à une certaine Mme R. Un amour malheureux nimbé de mystère, dont la romancière s’est emparée pour en faire la trame d’une fiction qu’elle souhaitait en tout point vraisemblable. Ainsi s’est engagé entre nous un dialogue fertile. La romancière laissant au sens propre courir sa main sur le papier –elle écrit toujours à la main, et au lit -, se nourrissait de références historiques, littéraires, de précisions muséales, animée par le souci de coudre ensemble, au détail près, l’idylle amoureuse, les pièces des collections Doucet, et les créations de couture qu’il dédiait aux élégantes parisiennes.
Les très proustiennes Lettres à Mme R. embrassent toutes ces dimensions. Elles font entendre la voix de Jacques Doucet, ses sentiments. Et c’est tout un monde qui naît sous les yeux du lecteur : le Paris de la Belle-Époque, le raffinement, le goût des œuvres d’art, l’amour, le drame. L’écriture de Noëlle Châtelet s’est glissée avec un plaisir évident dans la peau du couturier-collectionneur amoureux. Puis, se laissant entraîner où elle n’avait pas prévu d’aller, elle a poussé le jeu jusqu’à incarner, pour un soir devant le public du Musée, l’ombre de Mme R., aux côtés de, François Marthouret, son complice à la scène
Cette performance, le 5 mai 2022, marquait le lancement du recueil Lettres à Mme R. Un amour de Jacques Doucet, paru aux éditions du Musée. Ces lettres imaginaires, fictives mais si vraisemblables que l’on se prend à y croire, nous laissent approcher un Jacques Doucet intime, secret. La captation réalisée par Katharina Bellan, avec le soutien de l’Opéra d’Avignon et du Théâtre du Balcon, en garde une trace belle et sensible. A présent, le texte va vivre sa vie, trouver de nouveaux lecteurs, et nous l’espérons toucher d’autres publics, en d’autres lieux. C’est le vœu que nous formulons.
Carina Istre
Le recueil Lettres à Mme R. Un amour de Jacques Doucet de Noëlle Châtelet est en vente à la librairie du Musée.