De Van Gogh à Signac, sous le signe du voyage

Accrochage exceptionnel

Le phare d’Antibes (1909) de Paul Signac éclaire, pour l’automne et une partie de l’hiver, l’une des salles du Musée, en lieu et place de Wagons de chemin de fer à Arles (1888), de Vincent Van Gogh. Les Wagons de Van Gogh ont traversé l’Hexagone pour rejoindre l’exposition Le voyage en train du Musée d’arts de Nantes, dans le cadre d’un échange entre nos deux Musées. Ce prêt croisé de deux tableaux, tous deux placés sous le signe du voyage, s’inscrit pleinement dans notre vocation. Faire voyager les œuvres, c’est partager l’art, et c’est en cela respecter la volonté des donateurs, Jean Angladon et Paulette Martin, héritiers de Jacques Doucet, à qui l’on doit la fondation du Musée. Ces temps d’échange nous animent, comme autant d’opportunités d’approfondir, par mille correspondances, le regard sur le travail des artistes.

Alors, embarquons avec Signac pour un voyage en mer, thème cher à ce peintre paysagiste qui fut aussi un navigateur aguerri, fou de régates. Jetons l’ancre dans le port d’Antibes, l’un de ces ports de Méditerranée où, après s’être établi à Saint-Tropez, il trouve à conjuguer sa passion maritime et ses recherches ardentes sur la couleur.  « Il faut toujours revenir à cet axiome : le voisinage de la mer détruit la petitesse », aime-t-il à dire, citant Stendhal. En 1892, pour rejoindre le petit port de Saint-Tropez, alors accessible uniquement par la mer, le peintre navigue à bord de son voilier, l’Olympia — hommage à Manet– de l’Atlantique à la Méditerranée, en passant par le Canal du Midi.

L’eau, la mer, se taillent alors une part prépondérante dans ses peintures, tandis que la lumière du sud l’entraîne à approfondir encore sa quête de peintre théoricien de la couleur, figure de proue du divisionnisme. Point de petitesse ici, mais une vaste ambition : celle de maîtriser la façon dont les notes de couleur juxtaposées peuvent jouer ensemble dans l’œil de celui qui regarde. Un savant mélange optique, mis au service de l’émotion et de la lumière. Ces recherches ouvrent la voie aux expérimentations sur les contrastes de couleurs pures des Fauves, Derain et Matisse en tête. Attirés par l’Eden de Signac, la plupart des peintres importants font le voyage de Saint-Tropez. Matisse, en particulier, ne tarde pas à rejoindre son confrère et ami. C’est là qu’il brosse des études pour la grande composition Luxe, calme et volupté, dont Signac se rendra acquéreur.

Avides de réinventer la peinture, ces artistes conjuguent ainsi fascinations communes et amitiés fertiles. Au Musée, ces parcours croisés sous-tendent de beaux voisinages. Signac succède à Matisse, auquel était consacrée l’exposition d’été Le désir de la ligne. Henri Matisse dans les collections Doucet. Le phare d’Antibes côtoie La porte entrebâillée (1891), tableau tout aussi  pointilliste de son contemporain Edouard Vuillard, dont Signac collectionna les œuvres. Il dialogue également avec trois œuvres de Degas, peintre que le jeune Signac découvrit et admira dès l’exposition impressionniste de 1879.

Quant à l’échange ayant permis aux Wagons de Vincent de quitter provisoirement Avignon pour Nantes, il fait écho aux liens profonds qui unissaient les deux artistes, devenus amis après s’être rencontrés à Paris en 1886, probablement chez le père Tanguy, célèbre marchand de couleurs. Van Gogh et Signac aimaient peindre ensemble sur le motif, à Asnières, en compagnie d’Emile Bernard. Et lorsqu’en 1889 Signac descend à Cassis, il s’arrête à Arles pour saluer Van Gogh hospitalisé.

Ces dialogues silencieux, ces moments complices, se lisent en filigrane dans les vibrations lumineuses du phare d’Antibes. Les scintillements dans l’eau du port, les lignes de force et les miroitements passés au crible de la couleur entraînent le visiteur dans le sillage des artistes fondateurs de la modernité. Embarquement immédiat, jusqu’au 1ermars 2023…

Carina Istre

Chargée des relations extérieures
c.istre@angladon.com